Contre le remboursement de l'homéopathie
Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du Monde du 06.04.06
Ah, l'homéopathie ! Il suffit de prononcer ce mot pour
qu'automatiquement les discussions s'enflamment et que les camps se forment. Il
y a ceux qui "y croient" et ceux qui n'y "croient pas".
Mais quelle est donc cette médecine "douce" ou "parallèle"
créée en 1796 par un médecin allemand, Samuel Hahnemann, qui déclenche encore
autant de débats et de passions ?
En France, tous les médicaments ont été récemment réévalués
en fonction de leur "service médical rendu". Tous, sauf
l'homéopathie. Depuis plus de vingt ans, les petits tubes de granules ont un
statut à part. Contrairement aux autres produits pharmaceutiques, les
laboratoires homéopathiques sont dispensés de fournir aux autorités de santé
les résultats d'essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques pour
obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Ainsi, l'homéopathie a l'étonnant privilège d'être
remboursée par la Sécurité sociale sans avoir besoin de prouver son efficacité.
Pour les docteurs Elie Arié
et Roland Cash,
ce "passe-droit juridique" relève du scandale, de "l'escroquerie
intellectuelle". Ces deux médecins, chargé de
cours au Conservatoire national des arts et métier (CNAM), ne supportent plus
l'irrationalité qui prévaut dans le débat sans fin suscité par ces granules.
Alors que, selon eux, "elles ne contiennent, le plus souvent, que de l'eau
et un peu de sucre".
Et de fait, que peut apporter le principe homéopathique de
la très haute dilution - ainsi un produit 11 CH (centésimales Hahnemann)
équivaut à "une goutte de la substance de produit actif initial dans la mer Méditerranée"
- si ce n'est un effet placebo. En août 2005, la revue scientifique The Lancet
publiait une vaste analyse démontrant que l'effet des produits homéopathiques
n'était pas supérieur à celui du placebo. Mais rien n'y fait. Malgré cette
nouvelle "tempête sur l'homéopathie", l'exception française dans ce
domaine demeure et la présence, sur le territoire, des laboratoires Boiron-Dolisos, leader mondial des granules, n'y est évidemment
pas étrangère.
Elie Arié
et Roland Cash
ne dénigrent pas l'effet placebo mais rappellent qu'il est "inévitablement
présent dans toute relation thérapeutique, dès l'instant où le soigné accorde
une certaine confiance au soignant". Le paramètre déterminant est donc
"l'attitude du médecin". Or les homéopathes, appliquant l'un des
préceptes de Samuel Hahnemann - à savoir l'individualisation de la démarche
thérapeutique et la prise en compte du malade dans "sa globalité" - passe plus de temps que leurs confrères généralistes à
écouter et à questionner le patient. "C'est là que réside la force de la
démarche homéopathique", reconnaissent les auteurs.
Reste que ce principe de personnalisation, qui consiste à
attribuer un traitement en fonction du malade et non de sa
maladie, est "en pratique de plus en plus malmené". Pour preuve, la
vente libre et indifférenciée du fameux Oscillococcinum
pour lutter contre "les états grippaux" ou l'Aconit 5 CH en cas de
laryngite.
Les docteurs Arié et Cash ne demandent pas le retrait du
marché des produits homéopathiques, "puisqu'ils n'ont aucun effet
toxique", mais réclament qu'ils cessent, "par honnêteté
intellectuelle", d'être remboursés par l'assurance-maladie. La commission
de la transparence, la Cour des comptes, l'Académie de médecine, toutes se sont
prononcées contre le remboursement de ce type de traitement. Assimilant les
homéopathes aux gourous et autres marabouts, les auteurs concluent : "Ceux
qui ne partagent pas la croyance en l'homéopathie n'ont pas à contribuer à sa
charge financière : le principe de laïcité devrait aussi s'appliquer à la
Sécurité sociale !"
TEMPÊTE SUR L'HOMÉOPATHIE d'Elie
Arié et Roland Cash. Editions Les Asclépiades, 220 p., 18
Euros.